Ce week-end, j’ai reçu un courriel de François sur l’Imagination et la Raison. Ca m’a rappelé que j’avais écrit un article il y a quelques mois déjà sur l’apparente opposition entre la Science et le Conte, après avoir lu un petit livre scientifique, très intéressant, qu’une amie conteuse m’avait prêté…
Carlo ROVELLI, « Sept brèves leçons de physique », Editions Odile Jacob.
Merci à Sylviane Guittoneau de m’avoir prêté cet excellent petit livre dont voici un extrait (page 79) :
« Lorsque nous parlons du Big-Bang ou de la structure de l’espace, ce que nous faisons n’est pas la continuation des récits libres et fantastiques que les hommes se sont racontés autour du feu lors de veillées depuis des centaines de milliers d’années. C’est la continuation d’autre chose : du regard de ces mêmes hommes, aux premières lueurs de l’aube, qui cherchent dans la poussière de la savane les traces d’une antilope – scruter les détails de la réalité pour en déduire ce que nous ne voyons pas directement, mais dont nous pouvons suivre les traces. Avec la conscience que nous pouvons toujours nous tromper, et donc être prêts à tout instant à changer d’idée si apparaît une nouvelle trace, mais en sachant aussi que si nous sommes bons, nous comprendrons bien et nous trouverons. Voilà ce qu’est la science.
La confusion entre ces deux différentes activités humaines – inventer des récits et suivre des traces pour trouver quelque chose – est à l’origine de l’incompréhension et de la défiance envers la science d’une partie de la culture contemporaine. La séparation est mince : l’antilope chassée à l’aube n’est pas loin du dieu antilope des récits de la veillée. La frontière est fragile. Les mythes se nourrissent de science et la science se nourrit de mythes. Mais la valeur cognitive du savoir demeure : si nous trouvons l’antilope, nous pouvons manger. » (Carlo ROVELLI est notamment directeur de recherche au Centre de physique théorique de Marseille-Luminy)
Très beau texte, n’est-ce pas ? Les scientifiques aussi peuvent avoir une belle plume.
Et je suis d’accord avec Monsieur Rovelli : « les mythes se nourrissent de science et la science se nourrit de mythes »… « la séparation est mince ». Mais j’irais plus loin, j’oserais même dire qu’il n’y a pas de séparation entre les deux.
Monsieur Rovelli, avez-vous déjà mangé une étoile ? Peut-on manger les étoiles ? Les antilopes, oui. Mais si mon ventre cri famine, vais-je pouvoir me nourrir d’étoiles ? Comment se déroule une chasse stellaire ? Et une fois l’étoile capturée, comment la tuer ? Quel goût ça a ? Trouve-t-on des recettes culinaro-stellaires sur le web ? Des restaurants (étoilés) en proposent-il à leurs menus ?
Il est tout à fait possible de se nourrir d’étoiles. Personnellement, en tout cas, je préfère largement dévorer l’une d’entre elles plutôt qu’un steack d’antilope. Le steack remplit l’estomac. Les étoiles nourrissent le Coeur. Ce n’est pas le même organe…
A la Réunion, les contes sont appelés « manger pour coeur », et l’ex(cellente) conteuse Gigi Bigot en a même fait le titre de sa recherche (scientifique) à propos de l’impact du langage symbolique sur les personnes en situation précaire.
Les Etoiles nourrissent les Rêves…
Et les Rêves sont indispensables à notre Humanité.
La science a démontré que les animaux rêvaient pendant leur sommeil. Mais rêvent-ils éveillés, comme nous ? Rêvent-ils de devenir un champion, un roi ou un cosmonaute ? Se racontent-ils des histoires le soir avant de s’endormir, pour nourrir leurs rêves nocturnes ?
Depuis longtemps, les humains cherchent « quel est le propre de l’homme ?». Et à chaque proposition les animaux nous montrent qu’ils ont les mêmes particularités que nous, parfois en mieux ! Ils rient. Ils chantent. Ils créent des oeuvres artistiques. Ils ont des langages très sophistiqués. Ils ressentent les mêmes émotions que nous, avec la même richesse. Ils ressentent les souffrances et le bien-être, même si leur système nerveux est très différent du nôtre. Ils sont capables d’avoir conscience d’eux-mêmes, de méditer, de pratiquer des rites funéraires et d’avoir des raisonnements abstraits ! Ils sont même capables de viols collectifs et de génocides…
Mais peut-être que le propre de l’Humanité serait cette capacité à partager nos rêves à travers des récits. Peut-être ? Car les animaux seraient bien capables de nous démontrer qu’ils le font aussi, et même mieux que nous !
En réalité d’où viennent les contes ?
Tous les contes, sans exception, tous sont inspirés de faits réels, d’observations, ils « suivent des traces » comme le dit si bien Monsieur Rovelli en parlant de la science. Les contes seraient apparus pour répondre aux questions existentielles que se sont posés les premiers humains : d’où venons-nous ? Et d’où vient tout ce qui nous entoure ? Les premiers contes expliquaient le monde, grâce aux observations des premiers humains. C’est finalement une démarche totalement scientifique que d’expliquer le monde, en inventant une histoire. On observe des étoiles dans le ciel : comment sont-elles arrivées là ? De quoi sont-elles faites ? Sont-elles vivantes comme nous ?
Les littératures orales traditionnelles sont d’une richesse ahurissante concernant l’apparition de la Lumière, l’origine du Soleil, de la Lune et, bien sûr, des Etoiles. Toutes les civilisations humaines ont leur version…il y en aurait une infinité !
Ces contes sont dits « étiologiques ». L’étiologie est bel et bien une science ! Selon mon dictionnaire (Petit Larousse), du grec aitia (cause) et logos (science). « C’est l’explication des causes, des origines et des significations d’un phénomène naturel, d’un nom, d’une institution, d’une maladie, etc…en s’appuyant sur certains faits réels, ou éventuellement mystiques ».
Lorsque l’état des connaissances ne permet pas de tout bien expliquer, les mythes complètent ces lacunes pour rendre l’ensemble cohérent. Puis au fil des siècles, les progrès scientifiques ont comblé ces lacunes, démystifiant bien des convictions. Les mythes sont ce que la science n’a pas encore expliqué. Mais la science est loin d’avoir tout expliqué. Les frontières de la connaissance progressent quotidiennement. Mais toujours, il reste des questions à se poser pour aller plus loin, de façon exponentielle : une question résolue en apporte 10 autres encore plus insolubles ! Et en attendant que tout soit complètement expliqué et compris, l’Univers conserve sa part de mystère. Il garde quelque chose de mystique au fond de Lui. Il est même très possible que jamais la Science ne réussira à tout expliquer. Elle devra donc éternellement côtoyer les mythes…car « les mythes se nourrissent de science et la science se nourrit de mythes ». CQFD…
Je m’arrête là ? Allez, un petit bonus.
Dans ce petit livre, Monsieur Rovelli retrace bien l’évolution des croyances concernant la perception du monde qui nous entoure.
Au début, la Terre était en bas et le Ciel était en haut, la Terre étant plate. Puis les Humain ont compris que la Terre est ronde, et que le Ciel l’entoure, avec la Lune, le Soleil et les Etoiles qui tournent autour. Ensuite, l’égocentrisme humain a pris une claque en comprenant que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, et non l’inverse ; le Soleil tourne au sein de la Voie Lactée, elle-même n’étant qu’une galaxie parmi une myriade d’autres galaxies ! Et voilà maintenant qu’on apprend que le Cosmos n’est pas uniformément homogène, mais qu’il ondule, il forme des vagues…tout en gonflant comme un gâteau en pleine cuisson !
Tout le monde peut le constater : la Terre est en bas et le Ciel est en haut, à perte de vue, comme sur un plateau géant…on le voit avec nos yeux. Nos sens ne perçoivent pas la rontodité de la planète. Il a donc fallut de l’imagination pour concevoir cela. On a fait le tour du monde, on en a tracé des cartes en forme de globe terrestre, puis les humains ont pu aller dans l’Espace pour contempler la Terre dans toute sa rondeur : ce n’est que là, enfin, que certains ont pu voir de leurs propres yeux cette réalité. Les cosmonautes nous ont rapporté de superbes photos et vidéos (n’est-ce pas Thomas Pesquet ?). Les télescopes de plus en plus puissants et des appareils de mesures de plus en plus sophistiqués nous permettent de percevoir l’Univers d’une façon de plus en plus précise et lointaine à la fois. Mais malgré les photos, malgré tous ces savants calculs et toutes les théories qui se confirment ou s’infirment…à chaque fois, en plus, il en faut de l’Imagination pour concevoir l’Univers tel que les scientifiques nous le présentent.
Imaginez un gâteau qui gonfle pendant sa cuisson, tout en formant des vagues comme la mer…hum hum. L’Univers ainsi décrit ne requière-il pas autant d’imagination que lorsqu’on écoute un bon conte étiologique sur la naissance des Etoiles ?
Les scientifiques eux-mêmes se doivent d’avoir une bonne dose d’imagination pour élaborer leurs théories, concevoir leurs expériences et en interpréter les résultats.
Lorsqu’ils parlent du Big-bang ou de la structure de l’espace, ce qu’ils font est exactement la continuation des récits libres et fantastiques que les hommes se sont racontés autour du feu lors de veillées depuis des centaines de milliers d’années…depuis tout ce temps, nous n’avons toujours fait que suivre les traces de ce que nous réussissions à percevoir du monde dans lequel nous vivons. Grâce aux machines, nos moyens de perception se sont grandement améliorés. Mais l’Humain a gardé cette faculté essentielle : il nous reste l’Imagination pour continuer à suivre ces traces.
Les Contes nourrissent l’Imagination. Et l’Imagination nourrit la Science.
Bon appétit !
Il y a quoi au menu ? Des étoiles, évidemment !
Salade de contes, soupe d’étoiles, et en dessert, une mini-histoire que voici :
« Dans une prison, deux détenus sont assis cote-à-cote. Ensemble, ils regardent par la petite lucarne de leur cellule.
L’un pleure. L’autre sourit.
L’un regarde les barreaux. L’autre regarde les étoiles. »