Concours de menteries de Redon : Bogue d’or 2018

Le 27 octobre 2017, comme chaque année depuis plus de 40 ans maintenant, la ville de Redon célèbre l’Automne et les Châtaignes avec la Fête de la Bogue d’or, où s’y déroulent de nombreux concours du terroir gallo : concours de sonneurs, mais aussi concours de conteurs, et en particulier, concours de menteries.

Qu’est-ce qu’une « menterie » ?

C’est une catégorie de conte, spécifique, et particulièrement appréciée en pays Gallo. Le principe est que « plus c’est gros, mieux c’est » car, plus c’est gros, plus c’est drôle. C’est bien connu, les conteurs sont aussi un peu menteurs….vous ne le saviez pas ? En tout cas, en pays Gallo, un bon conteur n’est pas digne de ce nom s’il n’est pas capable de raconter des bobards plus gros que l’imposante cathédrale de la ville de Redon.

Et au fait, qu’est-ce que « le pays Gallo » ?

C’est une partie de la Bretagne, située à l’est d’une ligne approximative entre Vannes (au sud) et St-Brieuc (au nord). Cette ligne est une limite linguistique : à l’ouest, on y parle le breton. A l’est, on y parle le gallo. Le gallo est une langue à part entière (que je ne parle pas), entremêlant des caractéristiques de la langue bretonne, avec des caractéristiques de la langue française. Le résultat en est une langue imagée, assez compréhensible pour les francophones (ce qui n’est pas le cas du breton).

Comment en suis-je arrivée là ?

Tout a commencé début septembre lorsqu’une amie, fidèle de cette célébration automnale, m’envoie le dossier d’inscription aux concours de contes et de menteries (que je ne lui avais pas demandé)

Un concours ? Franchement, pas mon truc. Je trouve que la notion d’art est incompatible avec toute compétition : un concours encadre une pratique, alors qu’un art est et devrait rester Libre, sous peine de le dénaturer. De plus, je trouve mal placé qu’un art soit jugé ; et encore plus que des artistes et des œuvres le soient. N’y a-t-il pas plus subjectif qu’un art ?

Et pourtant…

Le concours de contes est à thème libre…mais le concours de menteries est à thème imposé. Pffff…n’importe quoi ! Je lis distraitement ce sujet :

« Avec les années, les études transgéniques animales, végétales, humaines,  voire plus… vous ont conduit dans le monde de la recherche. Le transfert artificiel de gênes à un autre est devenu votre domaine de prédilection.

Vous faites désormais partie des chercheurs rattachés au CDRTDPG (Centre de Recherches Transgénétiques Du Pays Gallo), qui se sont penchés sur une étude transgénique particulière ayant réussi à transformer certains produits de la nature avec des objets. Des applications ont également été faites sur les animaux et les humains. Le CDRTDPG tient son colloque annuel à Redon et vous avez été sélectionné(e) pour présenter l’avancement de vos travaux de recherches et d’expériences devant un parterre d’experts et de chercheurs.

Nul doute que vous saurez nous éblouir par la démonstration haute en couleurs de vos dernières trouvailles de génie… »

Et là, bien malgré moi, une histoire germe dans ma tête. Comme une jeune pousse en plein mois d’avril, elle grandit à vue d’oeil et finit par prendre toute la place sous mon crâne !

On dit souvent qu’on ne choisit pas les histoires que l’on dit : ce sont les histoires qui nous choisissent pour être dites.

Elle me plaît bien cette histoire, cette menterie…ce serait dommage de ne pas la partager. Et puis elle correspond impeccablement au thème du concours : autant la dire à Redon, ce fameux 27 octobre. Je m’inscris.

Problème : le temps de parole imparti à chaque candidat est limité à 7 minutes…mais cette histoire a tellement poussé qu’elle en durerait 20 ! Cet arbre devenu centenaire en quelques jours, il me faut maintenant l’élaguer, le réduire à un arbustre, un buisson…dure tâche que de supprimer tant de belles branches.

Voilà, le jour J. J’arrive à Redon, je découvre la ville…et son théâtre : le futur « ring ».

Oh, je ne suis pas là pour viser un podium. C’est la première fois que je participe à un concours de contes, et à vrai dire, c’est même la première fois que je dirai une menterie…de ma création, de surcroît ! Je n’ai aucune idée de comment ça se passe. Je viens juste pour le plaisir de dire cette savoureuse menterie…qui m’a demandé tant de travail !

Mon amie est là, elle m’accueille, nous mangeons en semble. A table, elle me présente plusieurs personnes : des membres du jury…elle connaît tout le monde ici !

La soirée commence. En faisant la queue devant le théâtre, je sympathise avec Sklaerenn : elle aussi participe au concours, pour la première fois également. Mais elle, elle est inscrite dans la catégorie « conte ». Elle a un trac colossal. Nous nous asseyons l’une à coté de l’autre dans le public.

La soirée commence par le concours de contes. La prestation de Sklaerenn est époustouflante, largement au dessus des autres conteurs : je la vois sur la plus haute marche…elle le mérite largement ! Lorsqu’elle revient s’asseoir à coté de moi, elle tremble encore de son trac…

Je constate alors, que les participants habitués des lieux prennent de larges commodités avec leur temps de paroles : l’un nous saoûlera pendant 20 minutes !

Le concours de menteries commence. Les menteurs se succèdent sur scène. C’est mon tour. Je suis accueillie sur scène deux sympathiques huluberlus : un savant fou et son assistant, animateurs de la soirée. Ils nous amusent de quelques sketch, et présentent chaque candidat avant son passage.

Je me lance dans ma menterie. Je suis vite gênée par les projecteurs : je ne vois pas le public ! D’habitude, j’accroche les regards des uns et des autres…mais là, je ne peux en croiser aucun. Je ne distingue pas grand monde, mais je sais qu’il y a plusieurs centaines de personnes…plus ou moins tous conteurs/menteurs aguerris. Hum, mes jambes deviennent comme des saucisses de Strasbourg…pas de problème, de toute façon, je n’ai pas besoin de mes jambes : je ne me déplace pas dans ma racontée. Je plante bien mes pieds au sol, l’air de rien, je continue ma menterie, jusqu’ au bout.

Avec les candidats qui dépassent largement leur temps de racontée, la soirée s’éternise. Après moi, la prestation de Réjane m’impressionne : une menterie toute en gallo, pas trop longue, bien ficelée, et particulièrement drôle, comme il se doit. Je me dis : à elle la Bogue d’Or, elle le mérite bien ! C’est une fidèle de la Bogue et du concours de menteries…qu’elle a déjà gagné auparavant.

Arrivent les résultats : on remonte les candidats, depuis la fin du classement, jusqu’au meilleur. Sklaerenn à la Bogue d’Argent…elle en est ravie. Même si de l’avis de beaucoup de gens (dont moi), elle aurait mérité l’or. Mais c’est ainsi.

Aux résultats du concours de menteries, les résultats remontent jusqu’à la Bogue de Bronze, je n’ai toujours pas été appelée, et j’entends le nom de…Réjane ! Je me dis « ils m’ont oubliée ? ». Réjane était mieux que moi !

Mon nom arrive juste après : je suis Bogue d’Argent ! En voilà une surprise…je ne suis pas d’accord avec le résultat, mais c’est ainsi. Et une deuxième place, c’est pas mal du tout ! Les jurés m’ont félicitée, surtout une dame qui regrettait de ne pas avoir réussi à défendre la place qu’elle m’attribuait (l’or). Mes amis aussi me congratulent. Et Sklaerenn et moi nous complimentons réciproquement. Moi, je félicite Réjane…dans mon coeur, elle est une menteuse en or !

(Moi et Réjane à la remise des prix)

Voilà une soirée un peu inattendue : deux mois auparavant, je n’aurais jamais imaginé participer un jour à un concours de contes, ou de menteries. Et encore moins en revenir avec une quelconque médaille. La vie est souvent comme les contes : pleine de surprises et de rebondissements.

Lorsque j’ai commencé à conter bénévolement avec l’association Il Etait Une Fois, plusieurs personnes m’avaient demandé pourquoi je n’en ferais pas plutôt mon métier. A l’époque, je travaillais en usine. Mais je n’étais pas prête. J’étais débutante, et conter n’était qu’un plaisir parmi d’autres pour moi. Toutefois, une graine avait été semée…enterrée bien profondément.

Depuis, les jours ont passé, les mois ont passé, et les années aussi. Cinq années durant lesquelles mon répertoire s’est étoffé, mon expérience s’est forgée au fil des racontées. La graine a été patiemment arrosée. Mais, j’hésitais encore à me lancer, comme on dit, allez savoir pourquoi…

En sortant du théâtre de Redon cette nuit d’octobre, vers une heure du matin, ma Bogue d’Argent sous le bras, j’avais reçu la reconnaissance de mes pairs. En sortant du théâtre de Redon cette nuit là, il n’y avait plus d’hésitation. La graine avait enfin germé. Encore quelques mois à passer, voilà la pousse sortie de terre : ce site, ce blog, et plein de racontées prévues cet été.