Conte et laïcité

La France et la laïcité

En France, la laïcité est une valeur républicaine fondamentale depuis longtemps. En 1905, une loi énonce la séparation de l’État et de l’Église. Gouverner la France n’a rien à voir avec Dieu, et c’est sûrement très bien ainsi.

Ce principe de laïcité s’applique dans tous les établissements publics : mairies, médiathèques municipales, écoles publiques, centres socio-culturels, hôpitaux publics…

Une Charte de la Laïcité a été rédigée en 2013 pour expliquer cette valeur et la faire respecter dans ces lieux.

Dans cette Charte, il est écrit dans l’article 3 : « La laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans la limite de l’ordre public. »

Article 9 : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations. »

L’article 6 précise que le prosélytisme est interdit, notamment par le port de tenues vestimentaires manifestant ostensiblement une appartenance religieuse (article 14).

Enfin, l’article 12 : « Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est à exclure du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question. »

Voilà pour ce que dit cette Charte.

La laïcité des contes

Voici une anecdote qui m’est arrivée il y a quelques années.

Une médiathèque me demande un spectacle de contes de noël. Dans mon spectacle, il y a bien sûr d’incontournables contes de Papa Noël ; il y a aussi un de mes contes préférés car il est rattaché au terroir où j’ai grandi en Bretagne, « les Pierres de Plouhinec ». Et comme j’adore la culture japonaise, j’aime aussi beaucoup dire un conte traditionnel japonais sur le Nouvel An (les Japonais, et les Japonaises, ne fêtent pas noël. Mais au Japon, le Nouvel An est la fête la plus importante de l’année après l’anniversaire de l’Empereur).

Les Pierres de Plouhinec est donc un conte traditionnel de noël : on y parle de la Nativité, la naissance de Jésus, dont noël est l’anniversaire, avec la messe de minuit à l’église. On y parle aussi des menhirs, dont certains en Bretagne ont été christianisés en y sculptant une croix. Ce conte aborde cette page de l’Histoire où une religion en a supplanté une autre, le christianisme ayant incorporé des éléments de la culture païenne préexistante : la fête de noël remplace les célébrations païennes liées au solstice d’hiver. Le fait de graver des croix sur des mégalithes est devenu un acte interdit aujourd’hui, heureusement. Mais l’Histoire est ce qu’elle est, les mœurs changent : autrefois, cet acte était jugé bon. Et les contes se déroulent souvent « autrefois, il y a bien longtemps ». Ayant grandi à Plouhinec, cette histoire est le premier conte breton dont j’ai eu connaissance, dans mon enfance. J’ai plaisir à le dire en période de noël.

Après avoir terminé mon spectacle, les enfants ont les yeux qui pétillent, les parents sont ravis. Mais le personnel de la médiathèque fait la soupe à la grimace : mon spectacle a écorché leur Charte de la Laïcité !

Dans le conte des Pierres de Plouhinec, notamment, j’ai prononcé les mots « église », « messe », « croix », « Jésus », « Dieu »…inadmissible !

On m’envoie un courriel avec cette fameuse Charte pour que je comprenne la grave erreur que j’ai alors commise. Excusez-moi, mais après l’avoir lue, je ne comprends toujours pas ce dont on m’accuse. Dans les articles cités ci-dessus lequel m’interdit de dire ce conte ?

La Charte dit bien que la République respecte toutes les religions ; c’est le prosélytisme qui est interdit. Kesako ? Définition sur Wikipédia : « le prosélytisme est l’attitude de personnes cherchant à convertir d’autres personnes à leur foi. Par extension, le prosélytisme désigne le zèle déployé afin de rallier des personnes à un dogme, une cause, une théorie ou une doctrine. »

Lorsque sur le même spectacle, j’ai dit le conte japonais du Nouvel An, malgré les mots « divinités », « dieux » et « offrandes », on ne me reproche pas de porter atteinte à la valeur laïque de la médiathèque avec ce conte shintôïste (le shintô est LA religion du Japon, une religion animiste très pratiquée). Le problème ne semble se poser que sur le sens chrétien de noël (j’ai déjà précisé que cette période de l’année est célébrée depuis des temps bien plus anciens).

Conte : discrimination et prosélytisme

Si la République Française respecte toutes les religions, mais en interdit le prosélytisme, et qu’aucune discrimination n’est tolérée (article 9 de la Charte), pourquoi puis-je dire un conte shintô, mais pas un conte chrétien ? N’est-ce pas là une forme de discrimination ?

Lorsque je raconte un conte de noël qui parle de la Nativité, est-ce là un acte de prosélytisme ? Pas plus que lorsque je dis un conte shintô dans le même spectacle ! Il m’arrive aussi parfois de dire des contes bouddhistes et des contes soufis (donc musulmans). Ça ne fait pas de moi une bouddhiste ou une musulmane. Pas plus que dire un conte chrétien fait de moi une chrétienne cherchant à convertir mon auditoire au christianisme. Je ne suis qu’une conteuse qui dit des histoires. On me demande un thème : noël ; alors je dis des contes rattachés au thème demandé. Rien de plus. Noël est une fête chrétienne, il n’y a rien de choquant à ce que qu’un conte traditionnel de noël parle de la Nativité.

Depuis cet incident, je demande si les contes de noël traditionnels me sont autorisés ou pas dans les lieux où mon spectacle de noël est programmé. Si c’est non, le spectacle sera plus court, raccourci d’une ou deux histoires (pour le même tarif).

Que représente noël aujourd’hui ?

Certes, noël est devenu une fête ultra mercantile, faisant l’apologie de la surconsommation d’objets ou de nourriture…tout au plus garde-t-elle encore une certaine valeur de rassemblement familial. Et c’est Petit Papa Noël qui en est le héros moderne (initialement, c’était Saint-Nicolas…un évêque du IVe siècle).

Si l’origine païenne en est un peu oubliée, la Nativité reste l’origine chrétienne de noël : on célèbre la naissance de Jésus. Le sapin de noël serait le symbole de l’Arbre de la Connaissance au Jardin d’Eden (le pommier dont Adam et Ève ont croqué le fruit défendu…pomme représentée par les boules de noël, et les guirlandes pourraient faire office de serpent). Ayant compris ce symbolisme, il a été demandé à certaines mairies de retirer tout sapin de noël dans l’espace public…les mairies ont refusé la demande de ces laïc.ques intégristes (si je peux me permettre l’expression).

Risques de la censure culturelle

Je trouve plus que dommage d’interdire de dire des contes religieux (chrétiens ou d’autres religions). C’est plus que dommage : c’est dangereux. C’est de la censure culturelle. Toute censure est le début de l’obscurantisme.

Obscurantisme (définition de wikipaedia) : « un obscurantiste prône et défend une attitude de négation du savoir. Il refuse de reconnaître pour vraies des choses démontrées. Il pose des restrictions dans la diffusion de connaissances ». Selon moi, lorsqu’on interdit de faire savoir que noël fête la Nativité, une fête catholique, c’est le début de l’obscurantisme. Car il s’agit de taire l’origine de quelque chose, le sens symbolique d’un évènement, d’une fête. Évidemment, il est tout aussi nécessaire de ne pas taire les origines païennes attachées à cette période de l’année, le solstice d’hiver.

Ce qui est sûr et certain : censure et obscurantisme n’ont jamais nourri la paix.

Nourrir la paix avec des contes religieux

Les contes sont universels, ils viennent de tous horizons. Et « ho, stupeur ! », on s’aperçoit qu’à travers les âges et les civilisations, les trames se recoupent, les histoires se ressemblent et se différencient subtilement, comme le sont les êtres humains : tous semblables et distincts à la fois. Les veillées contées rassemblent les générations, les sociétés et les individus en un même lieu. La Parole circule, elle est écoutée, puis répétée pour voyager. Les contes sont des facteurs de convivialité, de partage, de curiosité envers celle.celui qui parle. Ils nous aident à comprendre nos voisin.e.s qui ne sont pas comme nous. Et nous comprenons qu’au fond, nous sommes cousin.es. Les contes nous rapprochent, nous font appartenir à la grande famille humaine. Des histoires rattachées à telle religion trouve écho dans une autre.

C’est en totale conformité avec l’article 12 de la Charte : un élève ne peut invoquer sa religion pour refuser d’aborder une notion scientifique ou pédagogique, « afin de favoriser l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde, ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs. » La diversité des visions du monde, ça concerne aussi la diversité religieuse, non ? Aujourd’hui, des enfants musulmans veulent fêter noël, avec un sapin à la maison et des cadeaux, pour faire comme tout le monde, parce que ça leur fait envie et c’est bien normal : noël, c’est la fête de tous les enfants. Est-ce un crime de juste leur dire que c’est l’anniversaire de la naissance de Jésus ? Ne serait-ce que pour leur culture générale ? Est-il pédagogique de refuser qu’ils sachent l’origine de cette fête ?

Pourquoi le refuser ? Pourquoi interdire les contes de noël parlant de la Nativité ? Les gens qui s’en offusquent ont peur. Mais de quoi ? Peur de déclencher des tensions inter-religieuses ?

Selon moi, ne garder que le sens consumériste, commercial, et donc capitaliste, de noël n’aidera pas à apaiser notre société de plus en plus violente.

Les contes mettent souvent en avant des valeurs de partage, de solidarité, de respect, de persévérance, de résilience et de paix. La violence de notre société ne vient-elle pas de perte de valeurs sociale, de perte de points de repère ? Les contes peuvent en apporter. Les contes de toutes les religions en sont porteurs, sans avoir à chercher à convertir l’auditoire à telle ou telle religion. Il s’agit juste de constater que les messages qu’elles véhiculent sont souvent les mêmes ; que les histoires elles-mêmes se ressemblent d’une religion à une autre.

Les veillées contées ont la capacité de rassembler les gens, dans le plaisir du rassemblement. Elles font se rencontrer les cultures et les religions, en plus de se faire rencontrer les individus. Les conteurs et les conteuses nous arrachent à nos écrans perpétuels, pour nous faire rêver ensemble à un monde meilleur.

Voilà pourquoi censurer les contes religieux est à mon sens dangereux, surtout à une époque où les tensions interreligieuses sont grandissantes. Est-ce utopique de penser que des veillées contées régulières apaiseraient ces tensions ?

En tout cas, la censure de contes ne me semblent pas la bonne solution à ces tensions interreligieuses.

La France chrétienne

Peu importe votre foi ou votre non-foi, la culture française est traditionnellement chrétienne. Malgré la Loi de 1905, la France un pays chrétien.

Notre calendrier est grégorien (promulgué par le Pape Grégoire XIII en 1582, un calendrier papal, donc catholique). Chaque jour de l’année célèbre un saint ou une sainte chrétienne, ou plusieurs. Parmi les jours fériés français, il y a : le lundi de pâques (qui célèbre la résurrection de Jésus…encore lui !), le jeudi de l’ascension (la montée au ciel de Jésus, toujours lui), le lundi de la pentecôte (le retour du saint-esprit sur les disciples de Jésus, encore et toujours), l’assomption (la mère de Jésus, Marie, monte au ciel, le 15 août), et la toussaint (jour de tous les saints, comme son nom l’indique ; le jour des défunts étant le 2 novembre, allez voir votre calendrier si vous ne me croyez pas). De même, le jour de repos hebdomadaire est traditionnellement le dimanche : « le jour du seigneur » chez les chrétiens (c’est le samedi pour les juifs et le vendredi pour les musulmans). Tous ces jours sont fériés, et la plupart des fonctionnaires de la République française ne travaillent pas ces jours là. Peu importe la religion de ces gens, ou s’ils sont athées, ce sont des jours fériés catholiques, puisqu’instaurés par un Pape il y a 450 ans. Le calendrier en usage en France ne célèbrent aucune fête shintô, aucune fête bouddhiste, musulmane ou juive (même si certaines dates chrétiennes remplacent des fêtes juives) ; le calendrier de la République française ne célèbre que les évènements les plus importants du christianisme : la naissance de Jésus, sa résurrection, sa montée au ciel, le retour du saint-esprit, et la mère de Jésus.

Nous vivons dans une société chrétienne, que ça nous plaise ou non. D’ailleurs, par commodité commerciale mondiale, la plupart des pays du monde utilise le calendrier grégorien, même si la religion nationale n’est pas le christianisme (parfois en parallèle avec un calendrier traditionnel) : c’est la mondialisation.

Si nous voulons aller jusqu’au bout du raisonnement, de bannir toute référence religieuse dans notre société, il nous faudrait donc changer de calendrier et bouleverser toutes nos traditions, reconvertir tous nos édifices religieux… ça s’est déjà fait, à la Révolution. Peut-être pourrions-nous revenir au calendrier révolutionnaire ? Appelé aussi calendrier républicain, il était débarrassé de toute référence chrétienne, et se basait sur la nature, les saisons et les valeurs morales de la République (fête de l’Opinion, jour des Époux, etc.). Le 1er janvier 2025 serait le 11 nivôse 233, ça a l’air chouette, non ?

Je plaisante (le calendrier républicain a nettement moins de jours fériés que le calendrier grégorien !).

Tout ça pour vous dire que la culture française est profondément imprégnée de christianisme. Peut-être ne le voyez-vous pas, tellement nous baignons dans cet environnement chrétien sans forcément nous en rendre compte.

Chaque village a grandi autour d’un clocher, même si de plus en plus d’églises et de chapelles sont désacralisées voire détruites vu leur manque de fréquentation, et d’entretien.

Nos prénoms restent souvent d’origine chrétienne, même si la mode est à une diversification exotique, voire néologique, de l’état civil des nouveaux-nés. Parmi les prénoms les plus donnés en 2024, il y a Louise pour les petites filles (Sainte-Louise est fêté le 15 mars dans le calendrier grégorien), Gabriel et Raphaël pour les petits garçons, soit deux noms d’archanges (tous les deux fêtés le 29 septembre) ; messagers de Dieu, Gabriel est étymologiquement la « Force de Dieu », et Raphaël en apporte la guérison.

Depuis la Loi de 1905, la République française sépare les affaires religieuses et les affaires politiques. Alors j’ai une question : pourquoi avons-nous vu dernièrement notre Président de la République française assister à une cérémonie liturgique, diffusée sur une chaîne télévisée publique, lors d’un évènement qui a évincé absolument toutes les actualités du moment ?

Vous aurez sans doute reconnu à quel évènement je fais allusion : la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024. Les médias l’ont aussi photographié/filmé lorsqu’il assistait à la messe du lendemain.

Qu’un chef de l’État français assiste à des cérémonies catholiques ne pourrait-il pas s’agir là d’actes prosélytiques majeurs ?

Emmanuel et Brigitte Macron devant le reliquaire de Notre-Dame de Paris. Photo : AFP Stéphane de Sakutin

Censure des contes et des conteur.euse.s

C’est que, voyez-vous, ça m’agace un peu de voir le Président de la République assister à un évènement catholique diffusé à la télé à la place des programmes télévisés habituels, alors que moi, on me reproche de dire à noël un conte qui parle de la Nativité, dans une médiathèque.

Conséquence, parfois, je dois censurer ces contes. Quant aux chants de noël, afin d’éviter toute controverse, j’en censure aussi les mots pouvant être connotés : « la sainte nuit de noël » devient « la-la-la nuit de noël » (dans « douce nuit »), et dans le deuxième couplet de « mon beau sapin », je chante « au lal’anniversaire » à la place de « au saint anniversaire ». Il faut bien gagner sa croûte quand on est professionnelle du conte, et j’ai besoin de chaque contrat de spectacle pour vivre de mon métier.

Il y a des lieux où il m’est interdit de dire des contes chrétiens (ou musulmans…mais les contes shintô ne posent jamais de problème, toujours cette curieuse discrimination). Si je dis malgré tout un de ces contes interdits, les personnes programmatrices du spectacle en seront fâchées. Elles ne me feront pas revenir. Voire, elles me feront de la mauvaise pub, et déconseilleront aux autres institutions d’avoir recours à mes services. Et même, elles pourraient vouloir refuser de me payer (c’est ce qu’il s’était passé lors de l’anecdote narrée ci-dessus).

J’ai compris la leçon, je ne dis plus ces contes s’ils ne sont pas les bienvenus. J’accepte ce principe de censure, comme bien des artistes de spectacle : les humoristes ne peuvent plus de faire de blagues sur les étrangers (le racisme reste mal vu, malgré la montée de l’extrême droite), les homosexuel.le.s (c’est forcément homophobe), les femmes (mysogines), les handicapés, les personnalités politiques…

Heureusement, qu’il existe des lieux ouverts d’esprit où ces contes potentiellement « non-laïcs » restent les bienvenus…y compris dans certaines médiathèques municipales ou des écoles publiques. Donc des lieux où s’appliquent la Charte de la Laïcité…mais elle y est appliquée sans prosélytisme laïc. (Je vous rappelle que le prosélytisme est aussi le zèle de certaines personnes à imposer un dogme, une cause, une théorie ou une doctrine. La laïcité est une valeur qui peut elle-même devenir un dogme, ou une doctrine).

Je remercie particulièrement toutes les personnes qui m’ont permis de dire Les Pierres de Plouhinec dans leur médiathèque, leur école (privée ou publique), ou tout autre établissement, dernier en date : le village musée de Poul-Fetan (appartenant à la municipalité de Quistinic, 56).

Pourquoi dis-je des contes religieux ?

Dans mon répertoire, je dis quelques contes religieux : chrétiens, shintô, bouddhistes, musulmans ou autre. Ce n’est pas pour afficher ma foi en Dieu. Ce n’est donc pas par prosélytisme. Mais alors pourquoi les dire ?

En ce qui me concerne, ce qui me plaît dans ces histoires, ce n’est pas comment Dieu y est perçu, mais ce qu’il y a derrière les personnages, leurs actes et les valeurs qu’ils véhiculent. Mon idée n’est jamais de prôner telle ou telle religion, mais plutôt de rechercher tel ou tel état d’esprit, le plus ouvert possible, le plus tolérant possible. Je ne cheche pas convertir qui que ce soit à une religion, mais je m’intéresse aux valeur qu’elle véhicule : bonne humeur, entraide, respect, persévérance, résilience, sérénité… voilà ce qui me touche dans ces histoires. On ne peut pas conter une histoire qui ne nous plaît pas, car s’il n’y a pas d’amour dans notre récit, il ne touchera pas notre auditoire non plus. Comme tous les conteurs et toutes les conteuses, je ne peux dire que des histoires qui m’ont touchée. La présence de Dieu parmi les éléments de l’histoire n’est pas un obstacle à mes émotions.

Je ne suis pas pratiquante religieuse. J’ai grandi dans une société culturellement catholique (la France), dans une famille catholique (mes grands-mères allaient à la messe tous les dimanches ; il fallait tracer une croix sur leur pain avant de l’entamer). Mais je n’ai jamais perpétré ces traditions religieuses. Je ne suis même pas baptisée, et ça ne m’empêche pas de dormir. Les traditions judéo-chrétiennes ne me conviennent pas vraiment : Dieu-le-Père qui a tout fait tout seul, ça ne tient pas debout, c’est trop patriarcal.

Pourtant, cette culture chrétienne, je ne la rejette pas complètement, parce qu’elle fait partie de la société dans laquelle j’ai grandi, et dans laquelle je vis toujours, elle faisait parties du quotidien de mes grands-mères. Parce que derrière la chappe patriarcale chrétienne se cachent des valeurs de partage, d’entraide, de respect, de persévérance, de résilience, de paix…que mes grands-mères m’ont transmises.

Et parce que les édifices catholiques sont parfois aussi des lieux propices à la Parole, même la parole des contes profanes. Il n’est pas rare de pouvoir écouter des contes dans une chapelle.

Chapelles, églises et cathédrales sont de splendides bâtiments…d’ailleurs, j’ai profité d’une racontée à Paris dernièrement pour visiter Notre-Dame. Elle est superbe !

Conte et patrimoine

Je répète ma question : pourquoi avons-nous vu dernièrement notre Président de la République française assister à une cérémonie religieuse puis à une messe, alors que mes contes subissent parfois une censure culturelle au nom de la laïcité républicaine ?

Parce que Notre-Dame de Paris est un monument majeur du patrimoine de la France ? Pensez donc, une superbe cathédrale de 800 ans, visitée par 14 millions de personnes en 2018 (avant son incendie).

Savez-vous que les contes sont bien plus anciens ? (peut-être pas les contes modernes de Petit Papa Noël). Celui des Pierres de Plouhinec pourrait être rattaché à la période où la Bretagne a été christianisée, vers le VIe siècle, il y a donc environ 1400 ans, largement avant l’ère des cathédrales. Les contes remontent à l’aube de l’Humanité, dès l’apparition du langage parlé, et bien avant l’écriture. Le plus ancien texte d’un conte date de 6000 ans, mais cette histoire existait sous une forme orale depuis bien plus longtemps.

De plus, il est impossible de chiffrer le nombre de personnes qui ont entendu, lu ou vu un conte en 2018 en France ; sans doute bien plus que 14 millions. Là aussi Notre-Dame est détrônée.

Si celle-ci est un fleuron du patrimoine bâti parisien, les contes relèvent du patrimoine immatériel de l’Humanité. Dans les sociétés de tradition orale, ils en sont le ciment social et le moyen d’éducation des enfants. Hélas, ces sociétés tendent à disparaître et leurs traditions orales, sociales et éducatives également. L’UNESCO s’est donnée pour mission de reconnaître des éléments du patrimoine culturel immatériel (PCI) de l’humanité : des langues, des musiques, des danses, des chants, du théâtre traditionnel, mais aussi du sport, de la gastronomie, des savoir-faire, des cérémonies…curieusement, nulle part le mot « conte » n’y figure. Quel terrible manque. Cette absence m’interpelle. Et vous ?

Merci d’avoir lu jusqu’au bout.

Uriell, conteuse.

Références :

Charte de la Laïcité : https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2024-03/charte-de-la-la-cit-a4-43565.pdf

Laïcité et fait religieux (inspection générale des bibliothèques, sept 2016) : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/67153-laicite-et-fait-religieux-dans-les-bibliotheques-publiques.pdf

UNESCO et patrimoine culturel immatériel :

https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003

https://ich.unesco.org/fr/listes