Mimines et Peinturlures, la naissance d’un spectacle

Créer un spectacle, ça prends du temps, beaucoup de temps.

Pour créer un spectacle « solo », il faut du monde, beaucoup de monde.

Tout commence par une envie, une idée.

En 2019, mon amie Monique Le Berrigaud, bénévole à Il Etait Une Fois, annonce qu’elle arrêtera bientôt de conter, pour raison de santé. Dans l’association, elle est la spécialiste des contes pour les tout-petits, les moins de trois ans. Je suis étonnée : les bébés écoutent des histoires en étant aussi jeunes ? Bien sûr m’assure-t-elle. Par contre, ils sont « cash » : si l’histoire ne les intéresse pas, ils te le font vite savoir. Les bébés n’ont pas la politesse de faire semblant d’écouter si ça ne leur plaît pas. Monique m’invite à venir voir sa toute dernière prestation, avant de ranger définitivement son sac à histoires. Je la retrouve donc fin juin 2019 au Festival de littérature jeunesse de Doëlan, « Rêve d’océan ». Je suis impressionnée par le calme qui règne dans le public composé d’une dizaine de bébés accompagnés de leurs familles. Ils sont si attentifs. A la fin de cette dernière fois, elle demande « tu me succèdes ? ». Voilà un sacré défi, que j’ai relevé.

Monique Le Berrigaud à son dernier spectacle, à Doëlan, juin 2019.
La collection de gants de Monique, que les enfants peuvent regarder en fin de spectacle.

Accompagnée de Pascale et Jeannick, également bénévoles à Il Etait Une Fois, nous nous initions auprès de Monique à l’art hautement exigeant de conter aux tout-petits. Monique nous montre ses histoires, illustrées par toutes sortes de gants qu’elle a adaptés elle-même. Elle déclare qu’on peut prendre ses contes, car de toute façon, aucune histoire n’appartient à personne, mais qu’elle garde pour elle l’idée des gants. Alors, je me dis que je me peindrai les mains.

Ca se poursuit par une pandémie…

Je m’entraîne assidûment avec Jeannick et Pascale pour que notre spectacle soit prêt pour l’édition 2020 du festival de Doëlan, fin juin. Comment mettre en application cette idée de se peindre les mains ? Est-ce réalisable ? Les écueils se révèlent nombreux.

Et puis, une pandémie à confinement est passée par là : le festival est annulé. Je vais vous avouer que ça m’a soulagée, car je nous voyais difficilement prêtes à cette échéance. Nous avons donc eu une année supplémentaire pour nous préparer, et ce n’était pas du luxe !

Le festival Rêve d’océan a finalement eu lieu en juin 2021. Jeannick, Pascale et moi-même étions fin prêtes : nous avions cherché plein d’histoires, suivi les conseils de Monique, répété encore et encore…et le résultat était top. Nous étions stressées de découvrir notre nouveau public, si jeune, si exigeant…et tellement choubidou !

Ca s’est si bien passé que nous avons rempilé pour l’année suivante, avec de nouvelles histoires, de nouvelles chansons…de nouvelles peinturlures en ce qui me concernait, car mes acolytes préféraient la couture ou la guitare. Mon répertoire s’enrichit…au point que j’ai maintenant assez d’histoires pour monter un spectacle solo.

Répétition de Petit Jaune et Petit Bleu, avec Jeannick, pour Doëlan 2021

Etre seule mais bien entourée..

Travailler seule à la maison, c’est difficile.

Heureusement, il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres. Voilà qu’un soir, je fais la connaissance de ma voisine de siège lors d’un concert à la salle du City, à Lorient. Cette voisine, Nadine, n’est autre que la secrétaire de l’association qui gère le City. Je lui parle de mon métier de conteuse. Elle me conseille de demander une résidence d’artiste à l’association Plateau en Toute Liberté. Judicieux conseil que j’ai suivi. Merci Nadine !

Je rentre en résidence artistique le lundi 16 janvier 2023, jusqu’au vendredi suivant. Jusque là, je n’avais dit mes contes qu’en partageant la scène avec Pascale et Jeannick. J’avais une histoire par ci, une histoire par là. Il m’a fallut réorganiser le fil rouge de toutes mes histoires, les lier. Parfois nous contions une histoire à deux voix. Comment raconter seule ce que nous faisions à deux ou trois ? Le cerveau a turlupiné, farfouillé parmi mille idées, essayé, réessayé. Oups, il faudrait une petite chanson ici : à moi de l’inventer…chercher un rythme et une mélodie, trouver des paroles, des sonorités qui s’accordent. Je répète encore et encore. Je déplace telle histoire, ha non, c’était mieux avant. Je corrige. Ça cogite et ça prend forme. Qu’est-ce qui est en trop ? Que manque-t-il ?

Il manque l’éclairage. Pat, le technicien « lumière » de Plateau en Toute Liberté m’explique les rudiments de son art, celui de mettre un spectacle en valeur par quelques projecteurs judicieusement placés, allumés au bon moment à l’intensité requise, avec la bonne couleur. C’est technique, c’est passionnant. Merci Pat.

Puis c’est Jo Joubel qui m’apporte son éclairage de metteur en scène. Il regarde un filage de Mimines et Peinturlures, m’apporte un ou deux conseils, avec beaucoup de délicatesse. Merci Jo.

Parallèlement, je prépare le spectacle qui clôturera cette semaine de résidence artistique, et de travail intense, prévu le vendredi 20 janvier 2023 à 17h. Spectacle donné en présence du public auquel il est destiné : les bébés. Je contacte les acteurs (ou plutôt les actrices) de la petite enfance sur Lorient, crèches et nounous. « Tintinabulle » accueille des bébés à 200m du City : des parents viendront voir mon spectacle avec leurs progénitures. En échange, il leur sera demandé de noter leurs impressions, et leurs éventuels conseils. D’un autre côté, je contacte mon voisin et ami, Pierre, vidéaste et directeur du petit studio Grand Duc, afin que cette avant-première soit filmée.

Le jour J arrive. Inutile de préciser à quel point j’avais le trac. Et en même temps, j’avais tellement travaillé, répété et tout préparé que je me disais que ça ne pouvait que bien se passer…petite phrase pour me rassurer. Nadine accueille le public. Parents, nounous et enfants de tous âges s’installent. Les néons s’éteignent, les projecteurs sont déjà allumés. Je rentre en scène…

Mimines et Peinturlures : spectacle de fin de résidence au City, le vendredi 20 janvier 2023

Trente minutes plus tard, les derniers applaudissements résonnent. Les familles quittent la salle les unes après les autres. À leur sortie, les petits papiers se déposent dans l’urne : autant d’avis pour me permettre d’ajuster mon spectacle. Ce qui a plu. Ce qu’il faudrait modifier, car un spectacle de conte n’est jamais figé et reste toujours perfectible. Voici quelques phrases recueillies :

« Tout le monde rêve de se peindre les mains, et vous, vous le faites ! », « Spectacle très mignon. Les enfants étaient attentifs. Le fait de jouer avec la peinture a plu au petit garçon que j’ai en garde », « Super spectacle. Les enfants étaient captivés. », « Merci pour ce spectacles coloré, musical, agréable à écouter et regarder », « Gentilles histoires. A renouveler. Merci et bravo. »

Merci à tous ces bébés pour leur attention si fragile. Merci à leurs grands frères, grandes soeurs, parents, grands-parents et nounous pour leur intérêt, leurs avis, conseils et encouragements.

Il reste encore à préparer la vidéo avec les Studios Grand Duc. Le montage est encore en cours au moment où j’écris ces lignes…bientôt, bientôt. Merci Pierre et Maxime pour tout le travail accompli, et qu’il reste encore à faire. Il me reste encore à remercier Sylviane pour la conception de l’affiche et du papillon (ou flyer, en franglais).

Ensuite, il restera à faire connaître ce spectacle nouvellement né, à le faire programmer dans des salles, des RAM, des festivals… Merci enfin aux personnes qui programmeront Mimines et Peinturlures. À suivre.

Education par le conte (vidéo du CNRS)

Devenir pleinement humain : apprendre à écouter, à s’exprimer, et à raisonner. Vidéo du CNRS sur Suzy PLATIEL, ethno-linguiste africaniste. Comment les enfants deviennent-ils Adultes dans les sociétés de tradition orale (sans aucun écrit) ? Comment recréer du lien social grâce à l’oralité des contes dans notre société ?

J’ai vu cette vidéo. Non, je dirais plutôt : j’ai vu cette pépite ! J’ai écouté cette perle ! Ecoutons, méditons, et partageons… « une seule bougie peut en allumer des milliers d’autres, et continuer à brûler, sans devoir s’éteindre d’avoir autant partagé sa flamme. » La Parole est ainsi, les contes sont ainsi, comme les flammes d’innombrables bougies, placées sur notre chemin de vie pour éclairer notre passage. Cette vidéo est une réponse à cette question incroyable : « pourquoi le conte reste-t-il encore si important dans notre société numérique, individualiste et productiviste ? » On pourrait le croire puérile, futile et inutile…il est essentiel et d’autant plus d’actualité, pour créer du lien social entre chacun d’autre nous, mais aussi « entre soi et Soi ».

Suzy Platiel, en tant que linguiste, part en 1967 à la rencontre d’un peuple de Haute Volta (devenu depuis le Burkina Fasso), les Sanan. Sa mission : transcrire leur langue par écrit. Chez les Sanan, personne ne sait ni lire, ni écrire. C’est ce qu’on appelle « une société de tradition exclusivement orale ». Dès son arrivée, elle comprend que l’écriture ne leur apportera rien en matière d’éducation. Ces analphabètes savent réfléchir et s’exprimer brillamment…dès le plus jeune âge. Comment apprennent-ils cela si bien et si jeune ? L’éducation se fait par les contes : à écouter et à dire.

De retour en France, elle publie les contes collectés là-bas. Elle se rend dans les écoles pour permettre aux enfants d’acquérir ce qu’il manque tant dans notre propre éducation basée sur l’écriture : apprendre à se concentrer, à écouter, à raisonner sur l’enchaînement d’une trame, et bien sur, à prendre la parole, à exprimer sa pensée, à être écouté, à créer et partager les oeuvres collectives que sont les contes, à interagir avec l’auditoire… « comment un enfant peut-il écrire correctement, s’il n’est pas capable de formuler verbalement sa pensée ? » La Parole est le préalable indispensable à tout le reste…

Bon visionnage…(environ 30 minutes…d’une richesse fantastique !)

https://videotheque.cnrs.fr/doc=4095?fbclid=IwAR3yRKKyVuTKV-7a5fzMsJ1aqRqjg5t5v6Q1eTX6jfDUcHIV-NDfSbGt_RY %